L’assurance dommage est notamment définie à l’article L. 242-1 du Code des assurances, tant pour la nature des garanties que pour la procédure d’instruction des déclarations de sinistre puis l’offre d’indemnisation. Ces dispositions sont complétées par les clauses-type de l’annexe II de l’article A 243-1 du même Code.
L’assurance dommages-ouvrage repose sur un principe de pré-financement : l’assureur DO indemnise le maître d’ouvrage et effectue ensuite, postérieurement, une fois subrogé, ses recours. La subrogation intervient en vertu de l’article L. 121-12 du Code des assurances.
Son intervention se conçoit essentiellement après la réception mais l’alinéa 8 de l’article L. 242-1 du Code des assurances prévoit une possible prise en charge lorsque « avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations » .
Cette prise en charge potentielle est favorable au maître d’ouvrage car elle lui permet d’éviter l’écueil de l’absence de garantie assurantielle avant réception, puisque, sauf exceptions, dans le cadre de la responsabilité contractuelle, les contrats d’assurance souscrit par les locateurs d’ouvrage ne couvrent pas les désordres affectant les ouvrages en eux-mêmes (en ce sens : C.Cass., Civ. 3ème, 7 novembre 2019, 18-22033).
Plusieurs conditions sont néanmoins nécessaires pour bénéficier d’une prise en charge par l’assureur DO avant la réception :
- une mise en demeure restée infructueuse, sauf hypothèse d’un placement en liquidation judiciaire du constructeur (Cass., Civ. 1ère , 1er Avril 2003, n°00-10506) et étant précisé qu’une sommation de continuer le chantier adressée par le maître d’ouvrage équivaut à une mise en demeure (C.Cass., Civ. 3ème, 10 Décembre 2015, n° 14-17351)
- une résiliation du marché, celle-ci étant caractérisé ipso facto par le placement en liquidation judiciaire de l’entreprise (Cass., Civ. 1ère, 10 décembre 2002, 99-15675)
- seuls les désordres de nature décennale affectant les travaux avant leur réception sont susceptibles d’être pris en charge (Cass., Civ. 3ème, 8 mars 1995, n°93-11267), ce que la 3ème Chambre civile a confirmé par un arrêt du 28 Janvier 2021 (C.Cass., Civ. 3ème, 28 Janvier 2021, n° 19-17499).
Par son arrêt publié du 7 Septembre 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 7 Septembre 2022, n° 21-21382), la 3ème Chambre civile a l’occasion de revenir sur le critère de la mise en demeure, pièce qu’il convient de ne pas négliger pour le maître d’ouvrage.
La 3ème Chambre civile avait déjà considéré que
- la qualification de mise en demeure ne peut être retenue pour une lettre ne faisant « nullement mention de malfaçons à réparer« (Cass., Civ. 3ème, 10 Mai 1989, n° 87-20286)
- la mise en demeure reste nécessaire lorsque le constructeur est placé en redressement judiciaire mais avec poursuite de son activité (Cass., Civ. 3ème, 23 Juin 1998, n° 95-19340).
En l’espèce, sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que :
- une SCCV a confié à la société Merat Workshop, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d’oeuvre de la construction de logements.
- les lots gros oeuvre et chauffage-plomberie ont été confiés à la société Bati Ten.
- un contrat d’assurance dommages-ouvrage a été souscrit auprès de la société Axa
- le maître de l’ouvrage a notifié à la société Bati Ten la résiliation du marché pour manquement à ses obligations contractuelles et cette société a ensuite été mise en liquidation judiciaire.
- se plaignant de désordres et de trop-versés, la SCCV a assigné les sociétés Merat Workshop, MAF et Axa ès qualité d’assureur DO en indemnisation de ses préjudices.
Par un arrêt en date du 18 Juin 2021, la Cour d’appel de COLMAR a notamment rejeté les demandes dirigées contre l’assureur DO, estimant que :
- si le contrat de maîtrise d’œuvre autorisait le maître d’œuvre à adresser tous courriers utiles aux entreprises pour l’exécution de sa mission de direction des travaux, il ne contenait aucun mandat exprès à l’effet d’adresser aux entreprises défaillantes une mise en demeure avant résiliation du contrat
- la mise en demeure qui, en application de l’article L. 242-1 du code des assurances, devait être adressée à l’entrepreneur avant la résiliation de son contrat, devait émaner du maître de l’ouvrage ou de son mandataire
- la SCCV avait, plusieurs mois avant la mise en liquidation judiciaire de l’entrepreneur, notifié à la société Bati Ten, sans mise en demeure préalable, la résiliation du contrat de louage d’ouvrage, en a exactement déduit que les conditions d’application de la garantie de l’assureur dommages-ouvrage avant réception n’étaient pas réunies
La SCCV a alors formé un pourvoi.
La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation va successivement examiner les trois moyens avant d’approuver la Cour d’appel.
Sur le 1er moyen, la Cour de cassation indique :
« La cour d’appel a retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, du contrat de maîtrise d’œuvre, que son ambigüité rendait nécessaire, que si ce contrat autorisait le maître d’œuvre à adresser tous courriers utiles aux entreprises pour l’exécution de sa mission de direction des travaux, il ne contenait aucun mandat exprès à l’effet d’adresser aux entreprises défaillantes une mise en demeure avant résiliation du contrat »
Les mises en demeure et relances adressées par le maître d’œuvre ne peut donc servir au maître d’ouvrage pour caractériser une mise en demeure. Il n’en irait autrement que si le contrat de maîtrise d’œuvre contenait une clause contraire en ce sens, avec un mandat exprès, ce qui implique d’appréhender cette question dès la conclusion du contrat de maîtrise d’œuvre.
Sur le 2ème moyen, la Cour de cassation précise que la mise en demeure s’entend de « l’acte par lequel une partie à un contrat interpelle son cocontractant pour qu’il exécute ses obligations« , avant d’approuver le raisonnement de la Cour d’appel qui a considéré que la mise en demeure prévue à l’article L. 242-1 du code des assurances, devait être adressée à l’entrepreneur avant la résiliation de son contrat, devait émaner du maître de l’ouvrage ou de son mandataire.
Enfin, et surtout, sur le 3ème moyen, la Cour de cassation rappelle que
- en application de l’article L. 242-1 du code des assurances, la garantie de l’assureur dommages-ouvrages n’est due, pour les dommages apparus avant la réception de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs sur le fondement de l’article 1792 du code civil, que si, après une mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations.
- le maître de l’ouvrage ne peut se dispenser de cette formalité que quand elle s’avère impossible ou inutile, notamment en cas de cessation de l’activité de l’entreprise ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage.
Avant de relever que le marché du constructeur avait été résilié plusieurs mois avant son placement en liquidation judiciaire, sans mise en demeure préalable.
Dès lors, le placement en liquidation judiciaire, postérieur à la résiliation, ne peut venir pallier l’absence de mise en demeure préalable.
Il convient donc pour le maître d’ouvrage d’être particulièrement vigilant dans le suivi de son chantier afin de préserver ses éventuels recours contre l’assureur DO.