La réception tacite a l’occasion de revenir une nouvelle fois dans la jurisprudence de la Cour de cassation, par un arrêt – non publié – du 20 Avril 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 20 Avril 2022, n°21-13630), permettant aussi de revenir sur la portée d’une réserve à réception.
Sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- une SCI, propriétaire d’un local commercial, donné à bail à la société Confort 39, exerçant sous l’enseigne Conforama, a confié la réfection d’une partie de la toiture, composée de plaques de fibrociment contenant de l’amiante, à la société Picard zinguerie, assurée auprès de la société Axa.
- Les travaux de toiture, qui ont débuté le 5 juillet 2010, ont été achevés le 7 septembre 2010.
- Après une visite de contrôle du chantier, le 19 août 2010, l’inspection du travail a demandé la mise en place des protections adéquates contre le risque d’exposition à des poussières d’amiante et la fermeture du local commercial a été ordonnée le 4 septembre 2010.
- La SCI a confié les travaux de désamiantage à la société SFTP qui a achevé ses travaux le 31 janvier 2011.
- En février 2011, le maître d’œuvre a constaté et signalé un défaut de conformité des panneaux de toiture.
- La SCI et la société Confort 39 ont, après expertise, assigné en indemnisation, les constructeurs et leurs assureurs.
Par un arrêt en date du 12 Janvier 2021, la Cour d’appel de LYON a condamné l’assureur et le constructeur a payé des sommes au titre de
- des pertes de loyers.
- des travaux de reprise de la toiture.
L’assureur a formé un pourvoi en invoquant :
- une absence de réception tacite
- un désordre apparent à réception.
- 1. Sur la réception tacite avec des réserves
Encore récemment (C.Cass., Civ. 3ème, 2 Mars 2022, n° 21-10048), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a pu rappeler que la réception tacite se déduit d’un faisceau d’indices avec une marge d’appréciation non négligeable laissée aux Juridictions du fond, tout en soulignant que
- le paiement des travaux n’est pas nécessairement une condition déterminante
- il n’y a pas de présomption de réception tacite.
La Cour de cassation a pu retenir une réception tacite pour :
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de son appartement avant l’achèvement des travaux et qu’à cette date, avait payé le montant des travaux déjà réalisés (, Civ. 3ème, 18 Mai 2017, pourvoi n°16-11260)
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de l’ouvrage et auquel aucune somme ne lui était réclamé au titre du solde du marché (, Civ. 3ème, 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-25415).
En retour, la 3ème Chambre civile a pu écarter la réception tacite
- au vu de l’allégation d’un abandon de chantier et, de manière concomitante, la contestation systématique et continue de la qualité des travaux par le maître de l’ouvrage (Cass., Civ. 3ème, 4 avril 2019, pourvoi n°18-10412).
- aux motifs que l’absence de justification du paiement du coût des travaux réalisés et la contestation par le Maître d’ouvrage de la qualité de ceux-ci permettent de déduire son absence de volonté d’accepter l’ouvrage en son état lors de sa prise de possession (Cass., Civ. 3ème, 16 mai 2019, pourvoi n°18-15187).
- en l’absence notamment de règlement du solde et de signature de l’attestation de bonne fin de travaux (Cass., Civ. 3ème, 16 Septembre 2021, n° 20-12372)
Elle a en outre pu préciser que
- lorsque la prise de possession et le paiement du solde sont identifiés à des dates différentes, il faut retenir la date du paiement du solde (Cass., Civ. 3ème, 12/11/2020 n°19-18213)
- Le paiement de la facture d’un locateur d’ouvrage est insuffisant pour caractériser une réception tacite et partielle faute de prise de possession du lot (Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019, n°18-18325)
- La seule prise de possession n’établit pas la volonté tacite du maître de l’ouvrage de réceptionner les travaux (C.Cass., Civ. 3ème, 5 Janvier 2022, n° 20-22835)
Cependant, la réception tacite peut-elle être assortie d’une réserve ?
Cette possibilité avait été admise implicitement par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt en date du 19 Octobre 2010 (C.Cass., Civ. 3ème, 19 octobre 2010, n°09-70715) :
« Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le maître d’ouvrage, en prenant possession des lieux et en s’acquittant complètement du paiement du prix des travaux et des honoraires de l’architecte, n’avait pas tacitement accepté l’ouvrage, fût-ce avec réserves, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »
C’est en des termes plus explicites que la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation confirme cette possibilité, notant que la Cour d’appel a relevé que :
- la SCI avait pris possession de l’ouvrage le 23 septembre 2010 et que, à cette date, seule la présence d’amiante avait motivé le défaut de règlement du solde du prix des travaux de toiture,
- la non-conformité des panneaux de toiture n’avait été constatée par le maître d’œuvre que le 8 février 2011, soit cinq mois après la prise de possession.
avant d’approuver la Cour d’appel d’en avoir déduit que la SCI, ayant pris possession de l’ouvrage, le 23 septembre 2010, en retenant le solde du prix compte tenu de la dispersion de fibres d’amiante constatée dans une partie des locaux à la suite de la réalisation des travaux de toiture, avait caractérisé sa volonté de réceptionner tacitement l’ouvrage en assortissant cette réception d’une réserve relative à l’amiante..
Le refus de paiement ne faisait pas obstacle à la caractérisation d’une réception tacite et s’avérait seulement de nature à consacrer une réserve à réception.
Cette réserve était-elle cependant de nature à faire obstacle à la mobilisation de la garantie décennale car celle-ci n’a pas vocation à être mobilisée concernant un désordre apparent à réception.
- 2. Sur le caractère caché du désordre à réception et son caractère décennale
La présence d’une réserve à réception peut faire obstacle à la responsabilité décennale puisqu’il est nécessaire d’être en présence d’un vice caché au moment de la réception. Néanmoins, le caractère caché revient dès lors que le désordre ne s’est pas révélé à la réception dans toute son ampleur et toutes ses conséquences :
En l’espèce, la présence d’amiante avait motivé le défaut de règlement du solde du prix des travaux de toiture par le maître d’ouvrage, ce qui impliquait donc une réserve lors de la réception tacite consacrée.
Mais le maître d’ouvrage invoquait désormais, sur le fondement décennal, une non-conformité des panneaux de toiture à la réglementation incendie applicable aux établissements recevant du public. Ce désordre était-il donc caché lors de la réception ? Devait-il être relié à la réserve posée tacitement ?
La Cour d’appel avait estimé qu’il ressortait des constatations de l’expert que la non-conformité des travaux de toiture ne s’était révélée qu’à l’occasion de travaux d’aménagement intérieurs par la société Cem Ingénierie, le 8 février 2011 et le 25 mai 2011.
L’assureur, à l’appui de son pourvoi, soulignait qu’au travers de son assignation en référé, le maître d’ouvrage avait fait valoir que « au moment de réceptionner les travaux, il est apparu en outre que les panneaux de toiture installés par l’entreprise Picard zinguerie n’étaient pas conformes à l’activité recevant du public exercée dans les lieux par la société Conforama, particulièrement en matière de résistance à l’incendie ».
Le moyen est cependant écarté par la Cour de cassation qui approuve la Cour d’appel d’avoir pu retenir que
- la non-conformité des panneaux de toiture à la réglementation incendie applicable aux établissements recevant du public, qui était apparue postérieurement à la réception tacite de l’ouvrage, constituait un vice caché
- ce vice, qui exposait les usagers des lieux à un risque d’incendie et de mort, constituait, par sa gravité, un désordre qui, affectant l’élément de toiture, rendait l’ouvrage dans son entier impropre à sa destination et relevait de la garantie décennale de l’article 1792 du code civil.
Le désordre n’était donc pas apparent et s’avère de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination, s’agissant d’un risque pour la sécurité des usagers.
S’agissant de la qualification du désordre, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence : le risque pour la sécurité des personnes est un motif suffisant pour retenir la gravité décennale, sans qu’il soit besoin de caractériser un début de réalisation de ce risque ou une manifestation dans toute son ampleur dans la période décennale. Il en va notamment ainsi :
- du non-respect des normes parasismiques : , Civ. 3ème, 25 Mai 2005, pourvoi n° 03-20247; C.Cass., Civ. 3ème, 7 Octobre 2009, pourvoi n° 08-17620 ; C.Cass., Civ. 3ème, 19 Septembre 2019, n° 18-16986 (pour des travaux de rénovation)
- de la largeur insuffisante du passage piéton le long de la porte basculante du garage s’avérant dangereuse pour les utilisateurs (Cass., Civ. 3ème, 3 Mars 2010, n° 07-21950).