Préalable bien souvent nécessaire à l’engagement d’une action au fond, l’expertise judiciaire peut être sollicitée devant le Juge des référés sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
Si régulièrement les protestations et réserves d’usage sont formulées au sujet de la demande d’instruction in futurum, le bénéfice d’une expertise judiciaire n’a cependant rien d’automatique.
La partie adverse peut s’y opposer. Le Juge des référés doit en apprécier la légitimité.
Il s’agit en effet d’une mesure qui peut être couteuse en temps et en frais, et porter atteinte aux intérêts du défendeur.
Devant le Juge des référés, le débat doit porter sur la légitimité de la mesure réclamée :
« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé »
« s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé »
Le demandeur à l’expertise doit caractériser un procès potentiel pour remplir le critère du motif légitime.
La Cour de cassation a pu indiquer
- qu’il ne peut être fait droit à une demande d’expertise in futurum fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile s’il est établi que l’action au fond est manifestement vouée à l’échec (en ce sens : C.Cass., Civ. 3ème, 29 Mars 2011, n° 10-11593).
- qu’aucune action au fond ne doit être engagée au jour de la Juge de la saisine du Juge des référés (C.Cass., Civ. 2ème, 28 juin 2006, n°05-19283).
- il peut apparaître inutile de passer par la case « expertise judiciaire » avant d’envisager une action au fond, si celle-ci s’avère vouée à l’échec, en raison notamment de la prescription (C.Cass., Civ. 2ème, 30 Janvier 2020 n°18-24757)
- les maîtres d’ouvrage ne justifient pas d’un intérêt légitime à demander une expertise judiciaire contre l’assureur d’un constructeur puisque l’activité de constructeur de maisons individuelles n’avait pas été souscrite (C.Cass., Civ. 3ème, 26 octobre 2017, n°16-24.025).
En retour, néanmoins, il n’est pas nécessaire pour le demandeur à l’expertise judiciaire d’établir le bien-fondé de l’action au fond qu’il serait susceptible d’introduire après la mesure d’instruction in futurum sollicitée, ce que la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation vient de rappeler (C.Cass., Civ. 2ème, 16 Décembre 2021, n° 20-16653).
En l’espèce, sur le plan procédural et factuel, il convient de retenir que :
- Mme [E] a saisi le juge des référés d’un tribunal de grande instance, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, pour que soit ordonnée une mesure d’expertise aux fins, d’une part, de constatation de désordres affectant le monument funéraire qu’elle avait commandé à la société [S] [W], d’autre part, de détermination des indemnités devant lui revenir
- par un arrêt en date du 9 Mai 2019, la Cour d’appel de DOUAI a rejeté cette demande aux motifs que les désordres allégués, affectant la planéité de la pierre tombale et la hauteur des semelles, ne sont pas établis.
Madame E. a formé un pourvoi.
Sous le visa de l’article 145 du Code de procédure civile, la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation
- rappelle qu’il résulte de ce texte que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé, le demandeur n’ayant pas à établir le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d’instruction est sollicitée
- reproche à la Cour d’appel d’avoir violé ce texte en se prononçant à tort sur le bien-fondé de l’action.
Déjà, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a pu considérer que la mise en œuvre des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile « n’exigeait pas que le fondement et les limites d’une action future, par hypothèse incertaine, soient d’ores et déjà fixées » (C.Cass., Com., 2 juillet 2002, n°99-10289).
De même, la 2ème Chambre civile a indiqué que le Juge des référés ne peut rejeter une demande d’expertise en se fondant uniquement sur la seule absence de preuve de faits que la mesure d’instruction sollicitée avait précisément pour objet de conserver ou d’établir (C.Cass., Civ. 2ème, 17 février 2011, n°10-30638).